Le mot de la mère
Dimanche 15 mars, nous partons pour Paï qui est à 3 heures de mini bus de Chiang Mai. Nous arrivons dans ce petit village au nord de la Thaïlande, proche de la frontière birmane et entouré de montagnes. De nombreuses tribus y mènent encore une vie traditionnelle, vivant de la culture, du riz et des fruits. Et surtout d'ailleurs de la culture de fraises, ce qui me surprendra quand nous nous rendrons au marché. J'apprendrai plus tard que le gouvernement thaïlandais a fortement favorisé ces cultures afin d'éradiquer le trafic d'opium qui sévissait ici depuis plusieurs décennies. En effet, Paï se trouve dans l'ancien triangle d'or. Malheureusement, le trafic d'ecstasy venant de Birmanie a remplacé celui de l'opium. Mais nous ne serons pas confrontés personnellement au problème. Nous côtoierons seulement quelques fumeurs de marijuana dans l'arrière cour des hôtels.
Paï est un village hippie très cosmopolite et très animé. Tatouages, tressages, massages, nourriture internationale, petits concerts dans les bars. Dans notre hôtel, nous croisons des Allemands, une blogueuse sud-africaine et un jeune français qui assiste les 2 soeurs propriétaires thaï pour l'ouverture de ce nouvel hôtel. Pas mal de voyageurs restent ici pendant quelque temps, vivant de petits boulots ou se reconvertissent en digital nomads. Nous avons une petite maisonnette rien que pour nous et une piscine commune, nous l'apprécions beaucoup car il faut chaud et humide. Le hic, ce sont les brûlis. Nous arrivons heureusement au début de cette saison particulière où les agriculteurs brûlent des zones tropicales, ce qui leur permet d'étendre leur espace de culture et de fertiliser la terre. Cette technique ancestrale a un gros désagrément, celui de polluer l'air. Cela a pour conséquence de former un voile de fumée constant au-dessus de nos têtes. L'air peut y être irrespirable, Paï a même été considéré en haute saison comme le village le plus pollué au monde.
Le temps est à la morosité et à l'expectative... A l'hôtel, nous commençons à être tous inquiets de la situation sanitaire, nous avons écho de certains bruits de couloir comme le fait que l'Etat thaïlandais fermeraient les guest-houses dans quelque temps et n'autoriseraient pas de rallongement supplémentaire aux visas. Les ambassades poussent fortement leurs ressortissants à rejoindre leur pays d'origine. Nous croisons chaque jour des personnes sur le départ, en pleurs décidant d'arrêter leur périple. De notre côté, nous sommes comme tous ici, un peu perdus, un peu indécis. Devons-nous trouver une vraie maison et nous confiner à Paï ou nous rapprocher d'un aéroport international ? La petite famille suisse que nous avions rencontrée à Chiang Mai a décidé de nous rejoindre. Mais bien vite, ils changent d'avis et c'est à notre tour de pleurer dans leurs bras, comme une dernière étreinte autorisée.
Nous avons fait une croix sur plan voyage, nous n'irons pas au Laos, ni au Cambodge et encore moins au Vietnam. Les frontières se ferment petit à petit, les Français ne sont plus les bienvenus. Avec Julien, nous prenons le décision de rester un moment ici. Nous nous mettons en auto-quarantaine à Paï pour 15 jours et nous suivons les infos. Nous pensons qu'il n'est pas prudent de voyager, ni pour nous, ni pour les autres mais avec tout de même l'angoisse de rester bloquer ici... et pour combien de temps !
Le lendemain, nous décidons d'aller faire rallonger nos visas au bureau d'immigration avant qu'il ne soit trop tard. Arrivés sur place, un homme grand et costaud de type américain, les cheveux en bataille et la barbe hirsute nous propose de nous recevoir. Il nous explique qu'il était mandaté pour aider les voyageurs un peu égarés en ces temps de Covid. Julien lui explique notre situation en anglais, il nous répond en français... c'est un Québécois ! Il habite ici, marié à une Thaïlandaise. Il nous explique que les visas sont chers et que nous n'avons pas besoin d'en refaire faire pour les enfants car mineurs, l'Etat ne leur posera pas de problèmes. L'un de nous dans la conversation lui demande quel travail il exerce. Il se retourne alors vers les enfants et explique qu'il creuse des trous sur la lune et que parfois, il revient sur Terre pour voir, de loin, s'ils sont bien ronds ! Tom et Ernest sont happés par la bonhommie et la fantaisie du personnage. Enfin il s'adresse à nous, il nous explique que si sa femme n'habitait pas là, il finirait ses jours à la Réunion, qu'il était temps pour nous de prendre la décision ultime, d'aller dans le pays où nous passerions la fin de nos jours, qu'il nous enviait car en tant que Français, nous avions le choix d'un panel de petits paradis sur terre... Réunion, Nouvelle-Calédonie, Polynésie... mais qu'il fallait réagir vite car les frontières se fermaient et que notre décision serait irrévocable. Je ressors du bureau secouée, la terre s'échappe sous mes pieds, et je m'assois, plutôt je m'écroule sur une chaise de la terrasse la plus proche. Le lendemain, nous apportons donc nos 2 dossiers de visa. L'homme de la veille n'est plus là, c'est une femme thaïlandaise qui nous reçoit et, très surprise de ne voir que 2 dossiers pour 4 personnes, elle nous expédie gentiment en nous disant que le bureau va bientôt fermer ses portes. C'est alors qu'à la même terrasse de la veille nous décidons de faire les 2 dossiers de visa pour les enfants et de retourner au bureau l'après-midi. Après un café et les mains tremblantes, nous changeons à nouveau d'avis : nous ne ferons pas faire nos prolongations de visa... la destinée nous a parlé.
Pendant ce séjour nous aurons profité tout de même des marchés nocturnes et de la bonne cuisine thaï. Mais nous avons senti des regards de plus en plus méfiants car pour les Thaïlandais, nous sommes peut-être leur gagne-pain mais potentiellement aussi porteurs du virus. Dans le pays ici, peu de cas mais les habitants savent que l'épicentre de la pandémie est actuellement en Europe.
Après maintes hésitations et plusieurs nuits blanches, nous décidons qu'il serait plus sage de rejoindre le Japon. Nous décidons donc le coeur lourd de repartir de la région sans en avoir vraiment profité. Nous refaisons le trajet Paï-Chiang Mai dans un mini-bus bondé, sans clim', sous une chaleur suffocante. Nous passons devant la petite place non loin de l'hôtel que nous avions loué à Chiang Mai. Des militaires la désinfecte à grands coups de jets d'eau javellisée. A l'aéroport de Chiang Mai, on nous prend la température. Nous avons tous au moins 38° de fièvre ! L'homme de la sécurité nous met de côté, en-dessous de la climatisation. 2è prise de température, Julien et Tom n'en ont plus, par contre ce n'est pas le cas d'Ernest et de moi. Mais à la 3è prise, nous sommes tous revenus à la normale ! Nous sautons alors dans le 1er avion pour Bangkok. Nous arrivons à l'aéroport, un peu speed, un peu perdus, la situation cataclysmique s'accentue ! Nous croisons des personnes en tenue de cosmonaute : combinaison, masque, gants et visière anti-covid.
Nous essayons en vain de changer nos billets tour du monde pour Tokyo, sans succès. Alors nous décidons de racheter des billets dans une autre compagnie. Il faut faire vite, car le Japon a décidé le lendemain à minuit de sécuriser ses frontières en imposant aux Européens une demande de visa payant qui sera acceptée au bon vouloir des douaniers. Nous arrivons donc au guichet après une longue file d'attente pour acheter nos billets Bangkok-Tokyo. L'hôtesse nous demande le billet retour qui prouverait que nous n'avons pas l'intention de rester en clandestin sur le territoire japonais. Malheureusement, nous n'en avons pas puisque nous devions prendre le bateau pour aller en Corée du Sud et que la compagnie de ferry a déjà stoppé ses trajets entre les 2 pays. Tous nos espoirs tombent à l'eau, il se fait tard, il est déjà 22h, déjà 6 heures que nous sommes à l'aéroport, les enfants sur notre charriot de bagage ont faim et sont fatigués.
Nous abandonnons et prenons un hôtel proche de l'aéroport. Julien et moi sommes dans un état cataclysmique, les yeux rouges et la boule au ventre. A 23h, nous décidons finalement de rejoindre la France. Julien passe la nuit à nous trouver des billets, des réservations qui s'annulent les unes après les autres, des vols qui passent par des correspondances où nous ne sommes pas sûrs d'être acceptés en zone de transit, et enfin, de nouveaux vols Air France apparaissent sur l'écran de l'ordinateur. Il doit être 3h du mat'... (certainement des vols supplémentaires affrétés par le gouvernement français afin de permettre à ses ressortissants de rentrer au pays). Les billets sont chers, nous décidons d'utiliser les Miles de Julien et banco, nous avons la confirmation pour 4 vols Japan Airlines le lendemain matin à 9h. Nous devons donc nous lever à 6h pour prendre la navette à 7h... Encore une nuit blanche mais nous sommes finalement soulagés d'avoir enfin pu trancher !
Arrivés à l'aéroport de Tokyo, toute la délicatesse de la culture japonaise nous saute au visage : petite pâtisserie finement décorée, inspirée des mangas, des théières comme des pièces de collection et divers bibelots ou peluches à l'effigie des JO qui n'auront finalement pas lieu cette année. Mais le goût n'est pas aux achats. Nous en profiterons tout de même pour acheter du gel hydroalcoolique, mais impossible de trouver des masques. Nous garderons nos "vieux" masques achetés à Singapour. Les enfants mangent dans un restaurant, le meilleur du tour du monde d'après Ernest, moi je n'arrive finalement pas à avaler quoique ce soit. Nous décollons à 23h pour Paris avec Air France.
NB : 42000 Yens pour la théière = plus de 300€ !!!
Première stupéfaction, pas de gel et aucun personnel d'Air France n'a de masque. Au début du voyage, l'hôtesse a déplacé un jeune couple très très malade juste derrière Julien. A notre arrivée le 21 mars à 5h du mat' à Roissy Charles de Gaulle, j'étais certaine que toute la famille avait attrapé le covid. Mais dans notre malheur, nous avions la chance d'avoir un unique TGV Roissy-Lyon Part-Dieu à 13h parce que nous croisons quelques voyageurs égarés au Terminal 2 qui ne savent pas comment rentrer chez eux. Tous les cafés et restaurants sont fermés mais j'avais pris la précaution de ne pas manger mon petit-déjeuner servi à bord que je donne aux enfants en guise de repas du midi.
Nous arrivons à 15h à Lyon Part-Dieu, nous prenons un taxi, nous essayons d'avoir des informations sur la situation actuelle du pays mais le chauffeur tellement stressé de transporter des voyageurs venant d'ailleurs ne nous adresse pas la parole. Nous récupérons la voiture chez les parents de Julien sans pouvoir les voir. Nous nous sommes juste parlés à travers la porte, ils nous avaient laissé les clés, quelques papiers et un cake fait maison sur le paillasson.
Nous arrivons dans notre petite maison de campagne à la Ville, mes parents ont pris le soin de remplir le frigo avant notre arrivée. Il est 17h. Je jette nos bagages dans le grenier, envoie les enfants sous la douche et nous nous posons enfin. Ernest est tellement fatigué qu'il s'endort et n'a pas pu manger ce soir-là. Il dégustera son plat de pâtes le lendemain au petit-déjeuner ! Nous sommes finalement soulagés d'être arrivés et sommes certains d'avoir pris la bonne décision. Nous sommes de retour au pays, auprès de nos proches.
Bien des tuiles nous tomberont dessus par la suite, comme le fait d'apprendre que Julien n'a plus droit à son chômage, que je ne reprendrai pas mon travail après mon congé sabbatique et qu'il nous semble difficile financièrement de réintégrer notre appartement de Lyon, normalement libéré fin août par nos locataires. Mais je pense que tout ce que nous avons vu et vécu pendant notre tour du monde 8 mois nous a fait relativiser et que nous avions la chance d'avoir cette petite maison de campagne comme pied à terre, alors que bien des familles qui ont connu cette situation se sont retrouvées sans rien à leur retour en France. Nous étions heureux de retrouver les spécialités du pays : pain, charcuterie et fromage, et nous avons presque vidé notre cave !
Dans un second temps, nous nous sommes perdus corps et âme dans la rénovation de la maison et la création d'un petit potager. Nous étions tous sains et saufs, en bonne santé et profitions des plaisirs simples de la campagne : balade en forêt et bons petits plats. Nous n'étions finalement pas à plaindre comparés aux personnes confinées en ville.
Nous n'aurons fait au final que 8 mois sur 12, nous n'avons pas pu aller au Laos, au Cambodge, au Vietnam, au Japon, ni en Corée du Sud. Nous avons quand même conscience d'en avoir bien profité, certaines familles étaient parties pour un an et sont rentrées au bout de 3 semaines...
Puis vint le temps des retrouvailles...
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